Le cirque des bizarreries
Situé au cœur de Liège, le Pot au Lait est devenu le passage obligé d’une foule électrique, tant estudiantine qu’adulte. Ouvert de l’aube au petit matin, ce bar de la cité ardente offre une expérience décalée et des bières délectables.
Tire la chevillette et la bobinette cherra. Derrière la porte cochère bleue de la rue Sœurs de Hasque, se cache une taverne singulière. Avant de se jeter dans la gueule du loup, une allée pavée, abritée d’un épais feuillage, plante le décor. Le Pot au Lait expose ses graffitis les plus perchés, colorés, à tendance olé olé. Spok, Ned Flanders, Piggy la cochonne, Buzz l’Éclair, les icônes du XXème siècle sont à l’honneur. Des éléphants roses et un clown hilare surmontent l’antre du bout du terrier. Un petit amuse-bouche avant de découvrir l’univers déjanté qui gronde derrière ses portes.
Conte de fées ou réalité ? Ce bar a son histoire. Au début des années 70, l’Union Générale des Étudiants Liégeois (AGEL) ouvre un café appelé le « Trou Perrette ». Malheureusement, il ferme ses portes en 1973. Quel lien avec le Pot au Lait ? On y vient. Deux ans plus tard et 300 mètres plus loin, un groupe étudiant installe un nouveau « Trou Perrette » dans une vieille maison du XIXème siècle. Il devient rapidement le rendez-vous incontournable de la culture underground à Liège. Victime de son succès, le bar doit s’agrandir en 1979. L’annexe est baptisée « Pot au Lait » en référence à la fable de La Fontaine La laitière et le pot au lait qui commence ainsi : « Perrette, sur sa tête ayant un pot au lait bien posé sur un coussinet, prétendait arriver sans encombre à la ville ».
Ce lieu de prédilection liégeois ameute étudiants en art, jeunes mamans et papis punks pour déguster une moultitude de bières belges. « On a de la Triple Karmeliet, de la Chouffe, de la Pêcheresse, de la Gulden Draak … » énumère le barman d’un accent prononcé. Il s’agite derrière son comptoir en mosaïques multicolores. La musique rock underground donne le rythme : les chopes s’entrechoquent, la bière s’écoule et la mousse dégouline. Une chorégraphie festive pour une boisson d’exception. L’Unesco a d’ailleurs accueilli a bras ouverts cette culture brassicole belge dans son « patrimoine culturel immatériel » le 30 novembre dernier. On ne peut qu’approuver le plaidoyer de Bruxelles : avec près de 1500 types de bières, « la fabrication et l’appréciation » de ce breuvage « font partie du patrimoine vivant de plusieurs communautés réparties dans l’ensemble de la Belgique ».
Monument de la vie nocturne liégeoise, le Pot au Lait ne lésine pas sur les moyens. Des lumières phosphorescentes s’incrustent dans les murs ocre où créatures imaginaires et plantes folles éclosent. Dans chacune des cinq parties du bar, une ambiance différente. Le sanglier du taxidermiste fixe du regard les soucoupes volantes suspendues au plafond. Des gargouilles en pierre sympathisent avec des divinités indiennes aux couleurs pétantes. Tu as remarqué cette petite fille sur le tableau ? Oui, oui elle te salue d’un doigt d’honneur. Babioles burlesques, animaux empaillés, sculptures déroutantes et portraits désopilants. Ce gloubiboulga d’inspirations ressemble à une bringue entre Tim Burton, Jules Verne et Lewis Carroll. Alors « affonne ta bière ! » et « à tantôt » [« bois ta bière cul sec » et « à bientôt » ndlr].
La culture, un Paris d’enfants