La nouvelle maladie du siècle
L’omniprésence des écrans semble aller de soi. Smartphones, ordinateurs, tablettes sont incontournables et presque envahissants. A l’ère du numérique, Internet est devenu un vecteur prépondérant d’une nouvelle dépendance. Décryptage de la cyberaddiction.
Ils sont 85% en France à se sentir accros aux nouvelles technologies, avec un réel impact sur leur vie professionnelle et personnelle, selon une étude OpinionWay de septembre 2016. Chez certains internautes, le web est plus qu’un simple mode de communication, de travail ou de distraction. Il devient le principal centre d’intérêt de leur vie. « Je consulte mon portable toute la journée, sans arrêt. C’est devenu une manie inconsciente » raconte Constance, 24 ans.
Drogués du net ? La recherche psychiatrique est encore peu abondante sur cette éventuelle dépendance. Quelques auteurs, principalement nord-américains, ne doutent pas de la réalité d’une nouvelle addiction. Le psychologue américain Ivan Goldberg a été le premier à parler de “désordre de la dépendance à Internet” en 1995 en tant que symptôme et non de trouble à proprement parler. L’année suivante, les psychologues Michael O’Reilly au Canada et Kimberly Young aux Etats-Unis ont décrit précisément l’addiction à Internet. Ils ont noté que les conséquences négatives de cette dépendance concernent la vie sentimentale, familiale, le travail et la situation financière. C’est ce qu’a constaté David, coach en bien-être numérique: son obsession des nouvelles technologies l’ont éloigné de ses amis. “Je leur accordais moins de temps, les écrans étaient devenus plus importants. Je m’étais complètement isolé.”
Catastrophe. Des critères diagnostiques de cette cyberdépendance ont été listés depuis. Ils reprennent les principaux symptômes de l’addiction: tendance à la perte de contrôle, temps important passé devant un écran, sentiment de manque, de malaise ou même syndrome de sevrage en cas de déconnexion. Si une large majorité des internautes se connecte sur sa messagerie électronique le matin, d’autres préfèrent les réseaux sociaux, moins oppressants comme Tiphaine, 15 ans. Le baromètre de Google estime que 82% des Français se connectent quotidiennement à Internet pour une durée moyenne de quatre heures et demie. Pour beaucoup, oublier son smartphone relève de la catastrophe. Ce manque a été baptisé du terme de nomophobie, inventé par une étude britannique de février 2008. “Je me sens perdue et presque nue sans mon portable”, témoigne la “nomophobe” Élodie, 33 ans.
Certains internautes entretiennent une relation de fascination avec leurs ”machines”, nourrie par la passion du virtuel, de la communication “sans risque” et de la possibilité de visiter des sites à toute heure et dans le monde entier. Le plaisir de ces visites virtuelles tient dans la reconnaissance d’un ailleurs à la fois dépaysant et à portée de main. “Internet est une révolution incroyable! En quelques clics je trouve toutes les informations dont j’ai besoin” s’exclame Linda, 63 ans. Et à la fascination succède rapidement un besoin compulsif et un impératif de connexion permanente. Pour d’autres, l’addiction à Internet est secondaire: c’est avant tout un moyen d’assouvir une autre addiction comportementale comme le jeu pathologique, les achats compulsifs ou l’addiction sexuelle.
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Phobie. Dans tous les cas, les accros à Internet présentent des signes de dépression et d’anxiété supérieurs à la moyenne de la population. L’expérience clinique montre que trois dimensions s’associent. La tendance obsessionnelle se matérialise par le besoin de maîtrise et de rangement jusqu’à perdre la notion du temps. Ranger, classer, vérifier les fichiers sont des activités qui satisfont le goût de l’ordre, des tâches minutieuses et répétitives. Ce schéma se retrouve chez les utilisateurs des réseaux sociaux. Océane passe ainsi du beaucoup de temps à refaire ses “selfies jusqu’à avoir la photo parfaite”.
La dimension de phobie sociale s’inscrit dans le choix d’une relation sans risque ni vrai contact. Derrière un pseudonyme, chacun peut cacher sa véritable identité et éviter le regard des autres. Comme la plupart des addictions comportementales, la cyberdépendance représente un moyen d’échapper à des affects dépressifs. Face à des troubles de l’humeur, l’usage frénétique d’Internet peut se traduire par un comportement de consolation.
Sevrage. Aucun mode de traitement ne fait réellement preuve d’efficacité. Il existe des “aides en ligne”, notamment pour les jeux d’argent, sur le modèle des “Douze étapes” des Alcooliques Anonymes: prise de conscience du problème, partage d’une histoire, décision de changer, etc. Des cliniques se sont également spécialisées ces dernières années dans le traitement de la cyberaddiction. Des programmes de quelques jours sont proposés aux patients pour se détacher des technologies. Leur méthode repose essentiellement sur un sevrage de tous les écrans. De rares hôpitaux prennent en charge l’addiction à Internet, la cyberdépendance n’étant pas reconnue comme une “maladie clinique” en France.
De nombreuses offres “Digital Detox” voient le jour dans des agences de voyage et dans des hôtels, avec activités relaxantes et sociales au menu. Plus onéreuses que bénéfiques, ces propositions restent du domaine du divertissement plutôt que du traitement médical. Une approche préventive est également proposée aux internautes “hyperconnectés” par des “coachs en bien être numérique”. L’addiction fait aussi marcher le business…
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